La coiffeuse vient de sortir de la chambre de la clinique. Elle s’installe dans son fauteuil. Le soleil se dépose sur les reflets châtains de sa permanente. Elle esquisse un sourire quand je lui dis qu’elle est belle. Elle refuse que je la prenne en photo. Comme si, après toutes ces années, après toutes ces discussions endiablées, après tous les gênes d’enquiquineuses qu’elle m’a transmise, j’allais l’écouter ! Elle le sait très bien. Elle sourit franchement.

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Elle ne comprend pas bien comment elle en est arrivée là. Elle le répète sans arrêt. Il y a deux mois, elle marchait mal mais elle avait l’impression de contrôler son corps. Overdose de médicaments. « Ils ne sont pas encore partis de mon organisme tu sais. Mais j’ai beaucoup travaillé et mes mains ne tremblent plus. Enfin presque. »

Elle enchaîne à raconter ses années de Seconde Guerre mondiale au bureau national de la JOC. Quelques mois. Les autres ont été passés à Avignon, dans une vieille chapelle. Elle ne veut pas que je l’enregistre. « La guerre on la vit, ça ne sert à rien de la raconter. » Une vraie tête de mule. Elle continue quand même. Pour mon plus grand plaisir. « A la Libération, on a vu passer toute une colonne de soldats boches (ça, on n’a jamais réussi à l’empêcher de le dire, ndlr). Ils voulaient venir prier. On les a laissés faire. Quand ils sont sortis, ils ont pris la route vers chez eux. A une centaine de mètres, ils ont été pris sous les bombes d’un avion. Tous morts. »

Elle est optimiste aujourd’hui. Elle ne l’était pas un mois plus tôt. Quand elle arrivait à l’hôpital après avoir chuté pour la deuxième fois. Les premiers jours, elle se battait. Jusqu’à ce qu’elle commence à le dire. « Laissez moi partir, laissez moi rejoindre mon mari. »

Puis elle est devenue fâchée. Quand on rouspète, c’est qu’on n’a pas perdu l’envie de vivre. Une colère partagée par toute la famille. Une nuit, à l’hôpital, elle a appelé l’infirmière de garde pour qu’elle l’aide à aller aux toilettes. La dame a entrouvert la porte, a glissé « Vous avez une couche, faites dedans » et est repartie. « Tu sais, dans cet hôpital, ils venaient de recevoir le dernier cri de l’IRM. Ils me l’ont dit quand j’ai fait les examens. Mais ils n’ont pas mis d’argent pour avoir des gens pour s’occuper de nous. »

Dans la clinique où elle est actuellement, le soleil commence à lui faire mal à la tête. Je lui descends le store. « La dernière fois, j’ai demandé à une des jeunes filles de le faire, elle m’a dit que ce n’était pas son travail et une heure plus tard, une de ses collègues est venue le faire. Le soleil était couché. »


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J’ai pensé au papa d’Emmanuel. J’ai pensé à ces amis de gauche qui me disent que je suis contre l’euthanasie parce que je suis catholique, parce que je glorifie la souffrance de la vie comme un don de Dieu. J’ai pensé à Mamy qui ne pardonnera jamais les années Mitterrand.

Je descendrai dans la rue le jour où se posera la question de mettre dans une loi « Mr/Mme … peut, sous les conditions … , tuer/aider à mourir Mr/Mme… » (remplir les « … » par ce que vous voulez et rayer la mention inutile, ils pourront toujours être changés une fois écrit). Même si ma grand-mère déteste que je manifeste. Dans la société dans laquelle je vais devenir grand-mère, je veux que le personnel médical soit payé pour faire attention à ma personne et pas seulement à ma maladie. Accès aux toilettes compris. Dans la société dans laquelle je risque de finir vieille, je veux que les progrès techniques soient corrélés avec des progrès en lien humain.

Ne me dites pas qu’on n’en a pas l’argent. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui, le système médical est basé sur le principe « les laboratoires pharmaceutiques investissent quand ils ont un marché » que cela doit rester le cas. Vous pensez sérieusement que le militantisme pour l’euthanasie n’a aucun lien avec cette industrie ? Et après on me traite de naïve… Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui, les soins palliatifs sont considérés comme un tout petit aspect de la santé qu’ils ont vocation à le rester. Vous pensez que tout a été fait dans ce domaine ? Et après on me dit déconnectée de la vie réelle…

Ce n’est pas parce que vous avez perdu l’espoir en une société meilleure que je vais me contenter d’accepter une société dans laquelle on préfère aider à mourir qu’aider à vivre. Et je n’ai jamais dit que c’était simple à réaliser.