Le 18 novembre, je vais défiler dans les rues de Paris. Aussi surprenant que cela puisse paraître.

Crédit : mksystem/Flickr

Le 18 novembre, je vais sortir de chez moi. Je vais m’arrêter à chaque mendiant et passer cinq minutes avec lui ; je vais en prendre dix pour chaque famille qui dort sur le trottoir ; je vais en prendre quinze pour chaque enfant qui me tendra la main pour avoir une pièce. À chacun, je demanderai des nouvelles de sa famille, je questionnerai sur son quotidien. Je ne comprendrai peut-être pas : je n’en ai pas la capacité, drapée dans mon confort. Mais j’essaierai. J’investirai de temps.

Je vais porter une couverture à un SDF qui grelotte dans sa tente ; je vais boire un café avec des jeunes squatteurs qui ont un salaire mais pas quarante garanties dont trois de chefs d’Etat pour pouvoir louer un appartement dans la capitale (particulièrement dans les quartiers où les églises sont si fréquentées).

Je vais amener une salade, quelques radis de mon jardin à cette vieille dame qui sort peu dans mon immeuble et lui proposer une balade ; je vais aller dans la maison de retraite de mon quartier, voir s’il cherche des joueurs de scrabble ou de bingo à la journée ; je vais aller jusque chez ma grand-mère, regarder son feuilleton préféré en lui tenant la main. Ce n’est pas que je ne le fais jamais. C’est que ce jour-là, cela aura un sens autre.

Je vais passer quelques heures dans la chapelle de l’hôpital Necker, celui qui accueille les enfants malades ; je vais m’arrêter sur un banc du parc voisin et engager la conversation avec cette maman aux yeux rouges qui ne quitte pas son fils du regard ; je vais jouer au foot (et me ridiculiser) avec les gamins des HLM du coin.

Enfin, j’irai boire un verre avec mes amis. On discutera mariage, sacrement, homosexualité. Parce que même s’il y a quelques mois, j’avais une opinion sûre, je veux continuer à m’interroger.
J’offrirai d’abord une bière à Authueil pour lui montrer que ce ne sont pas « les religions » qui s’expriment en ce moment, mais bien les croyants. Des humains, des citoyens, qui ont droit de citer dans leur Cité. Ce malentendu passé, je plongerai dans les choses sérieuses.

Je sortirai une bouteille de vin pour Baroque, Anthony, Marthe et le P. Jonathan : je leur demanderai de me redire les avancées que le mariage pour tous laisse présager à leurs yeux, la sécurité légale qu’il apporte pour des familles existantes et fragilisées. Je rajouterai un verre pour Nicolas Johan et, après avoir fait une blague bidon sur son nom de famille à rallonge, je l’écouterai me raconter sa vie, ce qui l’anime.
Je m’arrêterai longtemps à la table du pasteur Lavignotte, qu’il me réexplique cette Bible qui nous « bouscule » et qui est, pour lui, « bien moins traditionaliste que nous », son exégèse sur la Genèse et sur la sexualité au fil de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Ensuite, je sortirai l’artillerie lourde : parce que je passerai aux discussions plus difficiles à avoir, celles que l’on a avec des gens que l’on estime, des amis mêmes… qui ne pensent pas comme nous.

Je commanderai trois Triple Karmeliet avec Charles de Vaugirard, pour saisir en quoi ce possible « changement de civilisation » est dangereux pour lui. Après, je prendrai un whisky-coca, que je siroterai doucement face à Koztoujours qui m’énoncera les études des psychologues, psychiatres, pédiatres et autres pro s’écharpant depuis plusieurs années sur le bien et le mauvais d’un couple maman-maman ou papa-papa pour les enfants.  Il me citera sûrement du Xavier Lacroix qui a son argumentaire bien rôdé.

Là, j’irai directement à la chartreuse sec : Nystagmus, une bouteille de 1 litre et deux verres. Parce que cette petite dame a les arguments qui m’ont le plus emmerdée. C’est long à lire, c’est passionnant à entendre : ça parle surtout de législation autour de la paternité et de la maternité, de répercutions pour la protection des femmes durement gagnée ces dernières décennies, d’égalité et de discrimination qui apparaitront en ricochet, et enfin d’anticapitalisme dans un monde qui aime tellement les progrès de la médecine et oublie si souvent de regarder l’origine des chèques (pharmaceutiques)…

On ne sera pas d’accord : c’est essentiel pour discuter et j’adore être contre mon interlocuteur. Mais on passera un bon moment quand même parce qu’aucun de ces gens ne sont une caricature de croyants.

Le 18 novembre, il y a un endroit où je ne serai pas : je ne défilerai pas avec un groupe qui demande la restauration de la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus Christ, alors qu’ils oublient d’en faire le roi de leur cœur, et le cœur de leur charité. Et pour finir, je prierai très fort pour que le nombre de signes consacrés à « eux » soit aussi inférieur que la place qu’ils ont par rapport à toutes ces autres « manifestations d’amour » sus-citées.